Nous aurions, côte à côte, savouré l'été naissant
Aujourd’hui, date anniversaire. 24 ans de silence. Et c’est comme si c’était hier… Bien sûr, depuis, j’ai ri, j’ai pleuré, j’ai aimé, j’ai espéré... Pourtant, j’aime la vie encore ! Oh oui, que je l’aime ! Mais tu n’es plus là, témoin privilégié. Toi qui seule savais… Grandir ensemble, crée des liens qui ne se dénouent jamais. Tu étais la petite et j’étais la grande. Unies de délires communs et de fous rires, d’enfance et d’histoire partagée. Acoquinées, soudées, complices. Destinées à vieillir ensemble de près ou de loin. Peu importait. Ce que nous étions l’une pour l’autre supportait les distances.
Différentes mais complémentaires. La fragile n’est pas celle qu’on croit. Tu me donnais l’élan, je t’apportais la ténacité. Ce qu’on faisait, on le faisait. Et c’était bien fait. Je t’avais connue bébé, tu m’avais connue enfant et cela nous donnait le droit… le droit de dire qu’on n’était pas d’accord et de s’engueuler. Mais aussi le droit de téléphoner à minuit parce qu’on se sentait triste. Et l’autre, celle qu’on avait réveillée, et bien l’autre, elle écoutait, elle consolait. On ne raccrochait jamais sans avoir entendu l’écho d’un rire au bout du fil. On pouvait aussi s’annoncer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit l’achat d’une petite robe, un amour naissant, une grossesse toute neuve qui nous comblait de joie… Et l’autre, comme nous, exultait !
Nous pouvions nous déchirer, nous pouvions partir en claquant la porte mais toujours, nous nous retrouvions. Colère pardonnée. C’était le temps d’avant. Le temps où tu étais là. Le temps de la complicité et du bonheur.
Et puis… la route... La route mangeuse d’hommes, dévoreuse de femmes, avide d’enfants...
Je m’en souviens : ce soir-là, 1 juillet 1988, les grandes vacances commençaient. J’étais contente... Le téléphone a sonné... « Elle ne se réveillera plus jamais. »
Je n’oublie pas cette phrase terrible et la voix de papa….déchirante, ravagée. Voilà 24 ans qu’elle résonne dans ma mémoire, saccageant en un instant ce qui faisait nos vies. Tu ne t’es pas réveillée… Et je ne suis pas sûre que tu avais le droit de nous faire ça...
Il faudrait s’y résoudre, dire qu’on n’y peut rien, que c’était ton destin… Je ne le peux pas. Ce n’était pas écrit, cela ne se peut pas. C’est juste une belle saloperie !
Pas un jour sans que ton nom naisse sur mes lèvres et ce n’est pas triste. Tu m’accompagnes jour après jour, année après année. Je continue à te parler. Je te raconte mes secrets, mes joies, mes peines. Tu sais qui j’ai aimé, qui j’ai détesté. Tu n’ignores rien de ceux qui m’ont donné du bonheur et de ceux qui m’ont fait souffrir. Tu sais mes combats, mes espoirs, mes galères. Tu applaudis mes victoires. Je me dis que tu mourrais tout à fait si les choses étaient autrement. Alors je parle de toi, souvent. A ceux qui te connaissaient, mais aussi aux autres.
Hier, j’étais avec papa et maman. Ils ont vieilli tu sais… Depuis ton départ, la flamme espiègle au fond de leurs yeux a disparu. Comme d’habitude, nous avons un peu triché. Alors, la journée a été gaie. Me voici donc fille unique. Je n’en guérirai pas. J’essaie pour compenser de vivre ce que tu ne vivras pas. Je le vis pour moi et puis pour toi. Car c’est bien toi la plus à plaindre. Ces années, c’est à toi qu’elles furent volées… Il te restait tant à faire ! Tu n'as pas vu grandir ton fils, tu ne connaîtras jamais la joie d'être grand-mère, tu ne feras pas ces voyages qui te faisaient rêver... Tellement d'autres choses encore ne seront jamais tiennes. D'un autre côté, tu as le privilège de ne pas vieillir. Pour nous qui t'aimons tant, tu restes avec ta longue silhouette et ton visage enfantin, la petite jeunette... T'en as du bol, tu vois... J'aimerais pouvoir me dire qu'un jour nous serons à nouveau réunies. Hélas, je n'espère pas te retrouver. J'ai essayé, tu sais, après ton départ, de croire à ces choses-là. Mais je n'ai pas réussi. Définitivement, je ne crois pas en l’au-delà. Alors, c’est ici et maintenant que je veux te faire vivre, encore un peu, par procuration…
La poésie du jeudi - à ma poussière d'étoile
Nathalie, ma sœur, était aussi ma meilleure amie. Je ne crois pas me tromper en disant que j'étais pareillement la sienne. Le 1° juillet 1988, sur la route, à quelques kilomètres au sud de Madrid, sa vie s’est arrêtée. Elle avait 26 ans.
24 ans d’absence. Qui a dit que le temps guérissait tout ? On s’habitue, c’est tout !
Et puis, même ça, ce n’est pas vrai. On ne s’habitue pas du tout ! Elle me manque terriblement...
En ce jour anniversaire, j’avais envie de lui parler et de partager ces mots avec vous.